On remarquera que la photo dans l’Est éclair du 22 mai 2009, le stade est garni. (Tribune Vitoux aux 2/3 tiers remplie) :
22 mai 2009. L’Estac reçoit Sedan. Et perd 2-3, précipitant sa chute en National. L’été précédent, alors que les Troyens venaient de manquer de peu la montée en Ligue 1 en raison d’une fin de saison cataclysmique (zéro victoire lors des onze dernières journées), personne n’aurait vraiment cru à ce destin.
Sur le papier, l’effectif a plutôt fière allure, avec des attaquants comme
Titi Buengo et Fabrice Fiorèse. Il possède aussi des cadres (Gaël Sanz, Éric Marester, Cyrille Merville, Guillaume Auriol…) et des jeunes joueurs déjà importants pour l’équipe (Julien Faussurier, Mathieu Baudry…). À sa tête, un entraîneur au crâne chauve (Ludovic Batelli), qui ne fera jamais l’unanimité. Tout ça ne vous rappelle rien ?
« La clé, c’est la prise de conscience »
Si le foot et les mentalités ont changé, il y a plusieurs points communs entre les générations 2008-2009 et 2023-2024, qui ont toutes les deux rapidement fait une croix sur leurs ambitions initiales pour finalement batailler pour le maintien. Celle de l’époque a échoué, celle actuelle a encore le temps de se sauver, à condition de ne pas répéter les erreurs passées.
La première d’entre elles : ne pas penser que le statut du club et la qualité individuelle vont suffire pour se maintenir. « Ce n’est pas parce que l’Estac a un passé en Ligue 1 et des joueurs à fort potentiel qu’elle ne peut pas descendre, plante Jérôme Lafourcade. Il faut même se dire que ça va arriver afin d’avoir une rapide prise de conscience. » « Pour moi, la clé, c’est la prise de conscience, poursuit Éric Marester. Comme l’Estac aujourd’hui, on avait une belle équipe. On pensait tous, moi le premier, qu’on allait y arriver, que c’était de la rigolade. Quand on me parlait de relégation, je disais que c’était impossible ! Pourtant, on en faisait des réunions. Mais tant que ce n’est pas dans la tête… On se disait qu’en gagnant un ou deux matches, on allait se sortir de la zone rouge, mais on ne les gagnait pas ! La prise de conscience est venue trop tard, quand on était presque condamnés. » « Le papier ne veut absolument rien dire, lance Ismaël Bouzid, titulaire à huit reprises fin 2008, avant de quitter l’Estac en décembre. La réalité est tout autre. Il ne faut pas tomber dans le déni et affronter cette réalité. À l’époque, il y avait ce déni au début et la situation du vestiaire n’était pas exceptionnelle. Plusieurs joueurs pensaient être au-dessus de la situation, estimaient qu’ils n’étaient pas des joueurs de bourbier. »
« Quand on me parlait de relégation, je disais que c’était impossible ! »
Éric Marester
C’est l’autre erreur à éviter : ne pas se désunir, même si le risque est grand quand les victoires ne viennent pas. D’après les retours que l’on a, malgré quelques points de crispation (par exemple, quand Rafiki Saïd « prend » un penalty), le groupe de David Guion n’est pas disloqué. Et vit bien mieux que la saison dernière, sans non plus se voir très souvent en dehors du stade. « Notre groupe était soudé, assure Marester. On se voyait beaucoup en dehors, on faisait des soirées… Mais simplement, on ne se voyait pas descendre. Je ne connais pas les joueurs actuels de l’Estac, mais s’ils font comme nous, ils iront tout droit en National. » « À l’époque, on s’était trop assis sur l’idée que certains allaient faire la différence ; on manquait un peu d’esprit collectif, ajoute Lafourcade. Mais dans des moments difficiles, ce ne sont pas deux ou trois joueurs qui vous en font sortir, c’est un groupe élargi. » « Dans ces situations, tout n’est pas rose dans un vestiaire, relate Bouzid. Il y a des frictions, des frustrations… Mais il faut bien se dire qu’on joue et perd ensemble, mettre les fiertés de côté. »
« Ne plus faire attention aux statuts »
Et, pour l’entraîneur, ne pas hésiter à bousculer les statuts des joueurs, quitte à s’en mettre quelques-uns à dos. Ce que n’avait pas vraiment osé faire Ludovic Batelli, qui composait avec tout le monde, ni le président Thierry Gomez, qui voulait protéger ses meilleures valeurs marchandes. Mais à deux mois de la fin, l’heure n’est plus à la gestion des humeurs, des ego et des futurs transferts. « L’union sacrée est difficile à entretenir dans ces situations, relève Lafourcade. C’est le staff qui doit créer cette atmosphère ; il ne faut pas chercher des coupables, mais plutôt des solutions. Et tous se tourner vers le même objectif. À l’époque, il y a un truc qui ne prenait pas entre les joueurs et le coach. » « Avec le recul de la saison 2008-2009, je dirai qu’il ne faut plus faire attention aux statuts et à la qualité intrinsèque des joueurs, lance Bouzid. L’entraîneur doit choisir les guerriers. Si un gamin de 18 ans a les crocs, il faut le lancer. Le bas de Ligue 2, c’est la bagarre, la bagarre, la bagarre. Certains joueurs sont capables d’avoir ces vertus de combattant, d’autres non. »
Ces vertus, tous les joueurs actuels ne les ont pas. Malgré le travail du staff, certains n’arrivent pas à se mettre en « mode maintien ». La prise de conscience de la gravité de la situation a été tardive. Et en ce sens, la défaite contre Dunkerque a été un mal pour bien. Elle a ancré dans le marbre, et surtout dans la tête des joueurs, l’urgence de prendre des points. Et si ce n’est pas encore suffisant pour comprendre que la relégation est une réelle menace, il suffit de se souvenir que descendre en National n’arrive pas qu’aux autres clubs.